Dakar, 29 déc (APS) - Des intervenants à une journée de partage consacrée à l'œuvre de Joseph Ki-Zerbo ont souligné l'actualité de la pensée du défunt historien burkinabè qui continue d'être une source d'inspiration pour de nombreuses personnes.
L'importance de l'héritage intellectuel de Ki-Zerbo tient à la profondeur de sa pensée, qui touche à beaucoup de domaines, de l'éducation à la politique, en passant par l'économie, estime l'ambassadeur du Burkina Faso au Sénégal, Jacob Ouédraogo.
"C'est un privilège pour nous de nous replonger grâce à cette activité dans la pensée multidimensionnelle du professeur Joseph Ki-Zerbo qui sert de source et d'inspiration pour se pencher sur différents thèmes", a-t-il dit.
Le diplomate burkinabè participait mercredi à une journée de partage autour de l'œuvre de Joseph Ki-Zerbo, sur le thème de "la problématique de l’éducation au Sénégal et en Afrique".
Cette manifestation est organisée par la section sénégalaise de la Communauté africaine de culture, en partenariat avec la chaire Isesco de la renaissance africaine de l'Université Cheikh Anta Diop de Dakar (UCAD), dans le cadre de la célébration du centenaire de l'illustre africain.
Joseph Ki-Zerbo, né le 21 juin 1922 à Toma, dans l'ancienne Haute-Volta, actuel Burkina Faso, est décédé le 4 décembre 2006 à Ouagadougou. Historien de formation, il est considéré comme l'un des plus grands penseurs de l'Afrique contemporaine, avec le Sénégalais Cheikh Anta Diop et d'autres.
"Pour nous, il continue d'être une source d'inspiration, car il a eu une pensée très profonde qui touche à beaucoup de domaines'' dont la politique et l'économie, a relevé l'ambassadeur du Burkina Faso au Sénégal.
Il a rappelé, parmi d'autres formules célèbres de l'historien passées à la postérité, la célèbre phrase : "On ne développe pas, on se développe".
"Cette pensée interpelle tout un chacun, pour que nous puissions nous approprier nos politiques économiques, les politiques de développement et ne pas attendre le salut d'ailleurs", a commenté le diplomate.
Il a aussi évoqué les réflexions de l'historien burkinabè concernant la lutte politique, parmi lesquelles il a cité sa célèbre phrase "Nan laara, an saara" (Si nous nous couchons, nous sommes morts'', pour dire : "Si vous ne vous levez pas pour lutter, vous êtes morts''.
Il estime que Joseph Ki-Zerbo, théoricien de l'éducation, a eu l'opportunité de mettre en pratique ses idées dans ce domaine à travers la contribution qu'il a apportée à l'élaboration de politiques éducatives dans son pays et ailleurs en Afrique.
Ki-Zerbo "n'est pas que Burkinabè, il est panafricain"
Le défunt historien a par exemple dirigé deux des huit volumes de "L'Histoire générale de l'Afrique", ouvrage collectif publié entre 1980 et 1999 par l'Organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la culture (Unesco).
Le diplomate en conclut que le professeur Ki-Zerbo "n'est pas que Burkinabè, il est panafricain".
Selon sa fille aînée Me Françoise Ki-Zerbo, venue prendre part à cette journée de partage, l'origine du nom Zerbo renvoie à “ouvreur de chemin” chez les Sama, ethnie du penseur burkinabè.
"C'est un guide, il connait le chemin, il a ouvert plusieurs chemins sur des thèmes qui lui ont été chers, l'éducation, le développement endogène, la culture, le genre aussi, car il a beaucoup écrit sur les femmes", a dit Me Françoise Ki-Zerbo, représentant la famille de l'illustre historien.
"Il a laissé un message pour les jeunes Africains en disant que chaque africain (e.s) doit être une valeur ajoutée et chaque génération a des pyramides à bâtir. Personne ne doit se sentir sur les marges, car nous avons une culture qui nous vient de loin, que nous devons porter comme eux ils l'ont fait. (…)", a ajouté Me Françoise Ki-Zerbo reprenant ainsi le discours de son père.
A l'en croire, la génération intermédiaire d'intellectuels africains a repris le flambeau des pionniers comme Ki-Zerbo, Cheikh Anta Diop et Alioune Diop, qui représentaient "les grands", selon le mot de l'écrivain sénégalais Cheikh Hamidou Kane.
Joseph Ki-Zerbo "disait aussi qu'il fallait creuser des puits pour les soifs de demain. Ce qu'ils ont fait", selon sa fille, faisant référence à la génération de son père.
"Il faut que chacun contribue à creuser des puits pour les soifs de demain, sinon il y aura une fracture et nous ne devons pas prendre cette responsabilité", a-t-elle indiqué à l'endroit de la génération actuelle.
Françoise Ki-Zerbo a aussi insisté sur "les liens fraternels" que son père entretenait avec le Sénégal, considéré comme sa patrie d'adoption.
"Plus que des liens d'amitié
"Les membres de la communauté scientifique et culturelle du Sénégal ont toujours manifesté à Joseph Ki-Zerbo beaucoup d'égard et de considération de son vivant'', a-t-elle témoigné.
De fait, parmi de nombreuses autres initiatives, un hommage a été rendu au professeur Ki-Zerbo à l'Université Cheikh Anta Diop (UCAD) de Dakar et à la Maison de la culture Douta Seck, en 2005, un an avant son décès, le 8 décembre 2006, à l'initiative notamment de l'ONG Enda Tiers-monde.
Elle estime que "le Sénégal est sans nul doute un haut lieu en lien avec la vie et l'œuvre de Joseph Ki-Zerbo, et cela s'explique par les liens qu'il avait tissés avec les filles et fils du Sénégal lors de son séjour à Dakar où il a travaillé, notamment, à l'Ucad, à l'Ifan, au Bureau régional de l'Unesco à Dakar [Breda] à des périodes importantes de sa vie".
Joseph Ki-Zerbo "s'est investi aux côtés de ses frères et sœurs du Sénégal pour la jeunesse africaine, à partir de ce pays qui a beaucoup compté pour lui", a souligné sa fille aînée.
"Plus que des liens d'amitié, ce sont des liens de fraternité qui unissaient Joseph Ki-Zerbo à d'éminents fondateurs de la Cacsen", la section sénégalaise de la Communauté africaine de culture, a-t-elle relevé.
Elle a signalé que le fondateur de la revue "Présence africaine'', Alioune Diop, a été le témoin du mariage de Joseph Ki-Zerbo avec Jacqueline Coulibaly à Paris, le 20 décembre 1956.
Elle dit avoir en mémoire "des moments de communion fraternelle'' entre sa famille et celle du professeur Assane Seck, parrain de l'université de Ziguinchor dont Joseph Ki-Zerbo a été le témoin de mariage.
De même, rappelle-t-elle, l'écrivain Cheikh Hamidou Kane a fait le voyage de Toma, village natale de Ki-Zerbo, lors des obsèques de ce dernier le 8 décembre 2006.
Joseph Ki-Zerbo a publié de nombreux ouvrages et articles, parmi lesquels "A quand l'Afrique ?", un livre d'entretien réalisé avec René Holenstein en 2003. Il y a aussi "Éduquer ou périr" (1990), publié bien avant "Histoire de l'Afrique noire" (1972).
Bachelier en 1949, il a intégré l'université de la Sorbonne à Paris où il a étudié l'histoire, puis l'Institut d'études politiques de Paris. Il devient le premier Africain agrégé d'histoire en 1956.